Je vous invite à lire l'article à propos de la saga Kerberos, ainsi qu'à regarder tranquillement cet extrait du film Stray Dog :
Dans le film Stray Dog, le temps d'une interlude au caractère "flottant" dont il a le secret, Mamoru Oshii ose (c'est le mot) adopter le point de vue subjectif d'un chien, et d'en profiter pour faire le parallèle avec celui de son homme-loup égaré, le Jin-Roh. Une errance à travers des ruelles parmi des figures humaines qui finit brutalement par un jet de canette à la face de l'animal.
Le spectateur sera d'autant plus surpris d'entendre le jappement inattendu du chien qu'il s'est auparavant laissé envoûter par la musique apaisante de ce temps suspendu au cours de la fiction. L'effet produit, qui après coup donne tout son sens à cette séquence des plus étrange et surprenante, est instantanément assimilé à un enjeu narratif profond.
En effet, ce chien sans maître, méprisé par les hommes, ne demande-t-il pas simplement qu'un peu de tendresse ? De même, d'avoir recouvrer sa liberté, de s'être extirpé de l'enfer, le soldat Cerbère ne demande-t-il pas qu'un peu de reconnaissance ? Ne serait-ce que pour, au travers de sa quête, sauver la part d'humanité qui lui reste ?
A l'oeil caméra, d'abord pensé par le spectateur comme le regard omniscient du cinéaste, vient donc se substituer celui d'un chien, chamboulant par là même notre première impression, notre rapport même à l'image, et notre identification à la diégèse dans son ensemble. L'espace d'un instant, nous faisions corps avec l'animal sans même le savoir, tandis qu'au niveau inconscient se tisse le lien évident avec cet homme soldat dont nous suivons les pérégrinations.
La divagation poétique à laquelle nous venons d'assister s'est alors muée dans notre esprit en une réflexion existentielle sur notre propre nature, changeant le regard que nous portons habituellement sur le monde qui nous entoure. Et d'en arriver à la conclusion que ce chien, dieu vivant insaisissable loué par le cinéaste, semble définitivement renfermer la clef du mystère, celle d'un amour que des hommes refusent catégoriquement de vivre.
Ce court extrait, sans grande technicité certes, est manifeste à lui seul de toute la pensée du cinéaste, de sa démarche en tant que metteur en scène, de ces dispositifs expérimentaux qui parviennent à signifier un discours troublant prenant la forme d'une rêverie métaphysique. Sa vision, si singulière en tant qu'artiste, est ici bouleversante de sincérité, simple et limpide dans son expression, touchante dans son ingénuité, frappante dans sa conviction.
L'idée, mise en scène avec une audace créative qui force l'admiration, est sublimée par une mélancolie apportant son lot d'émotions à la fois spirituelles et conceptuelles. Ce processus par lequel notre perception sensitive nous amène à saisir une idéologie sous-jacente (celle atypique de l'artiste) est une véritable expérience de l'abstraction (au sens philosophique du terme), source de ma fascination pour le cinéma de Mamoru Oshii.