Un article de Valmy, merci à lui pour sa participation, et navré pour le retard (énorme !) quand à la publication de cet article concernant la bande originale du film Jin-Roh, la brigade des loups.
Merci également à Daniel DeLorme pour son autorisation quand à la publication de son texte Les paroles perdues de Jin-Roh qui complète la chronique et se focalise sur le titre Grace Omega.
Jin-Roh, la brigade des loups - 1999 réalisation : Hiroyuki Okiura scénario : Mamoru Oshii L'histoire se situe dans l'univers Kerberos.
03 - Dark star 04 - Sting 05 - Mad black 06 - Damp 07 - Gray black 08 - Blue clouds 09 - Silence and wind 10 - Fragrance rain 11 - Latest flame 12 - Curse 13 - Pride 14 - Unit one 15 - Long destiny 16 - The force 17 - Keel 18 - Angel
19 - Shadow of rainbow 20 - Seal 21 - The top 22 - Grace Omega (Main theme)
Vivre seul signifie ne plus rien solliciter, ne plus rien espérer de la vie. La mort est la seule surprise de la solitude. Les grands solitaires ne se retirèrent jamais pour se préparer à la vie, mais, au contraire, pour attendre, résignés, le dénouement. On ne saurait ramener des déserts et des grottes un message pour la vie.
E. Cioran, Sur les cimes du désespoir
La bile noire, l’influence de Saturne, le spleen, le mal du siècle, la dépression. Autant de mots pour qualifier un état d’âme dont le sens a énormément fluctué au gré des siècles et des hommes.
Durant l’Antiquité, elle fut l’une des quatre humeurs d’Hippocrate. Elle était aussi l’apanage des intellectuels. Aristote dans son Problème XXX se questionnait déjà : "Pourquoi tous les hommes qui furent exceptionnels en philosophie, en politique, en poésie ou dans les arts étaient-ils manifestement mélancoliques ?". Au Moyen Age, elle n’était qu’un déséquilibre de l’humeur, la fameuse acedia. La Renaissance lui donne une signification créative, elle devient par la suite spleen chez Baudelaire. On parle de neurasthénie chez les psychiatres. Qu’elle est-elle aujourd’hui sinon une affliction psychopathologique à éradiquer ?
M’est avis que Hajime Mizoguchi (et le film d’animation Jin-Roh plus généralement) lui redonne un sens lié à l’art, au génie. Après (re)visionnage de ses interviews, j’en déduis que c’est un état qui lui colle à la peau de toute façon. Il a cette manière particulière de voir les choses du monde : du plus beau des rayons de soleil il ne retient que la grandeur des ombres qu’il produit. Une sorte d’esthétique de la tristesse avec la dépression en point d’orgue. Combien d’exemple avons-nous d’artistes liés à cet état durant leur vie ? Il n’est point besoin d’aller chercher loin, pour nous qui plus est (amateurs et passionnés de japanimation) .. par exemple, combien d’année de dépression aura vécu Hideaki Anno avant de refaire surface avec sa série Neon Genesis Evangelion ?
Revenons à notre sujet : la musique de Mizoguchi dans Jin-Roh. Je vais mettre de côté pas mal de pistes que je vous laisse le plaisir (le triste plaisir ?) de découvrir par vous-même.
L’album démarre sur un nom qui n’a rien d’anodin : "A Monologue", c'est-à-dire ici, dans la solitude des violons. Nous avons droit à un arrachement de musicalité forte et poignante. Et déjà dès les premiers instants, je me permets de faire un lien avec le Cantique en mémoire de Benjamin Britten de Arvo Pärt, car les émotions éprouvées, les tonalités utilisées concordent incroyablement. Dans les deux cas, la notion de perte propre au deuil (que l’on retrouve dans la mélancolie teintée d’une couleur délirante) est divinement retranscrite.
Le second morceau "Main Theme" impose par son entrée en matière et l’utilisation d’une guitare électrique plaintive et d’une grande beauté. C’est une piste détonante où viennent se mélanger à la guitare des chœurs tribaux ainsi que des percutions très appuyées. "Dark Star" est, comme son nom l’indique, une piste très sombre où les violons et un violoncelle se secondent. Jusqu’à ce que ce dernier calme sa plainte pour laisser les violons partir dans une envolée lyrique.
Vient ensuite "Blue Clouds", un pur chef d’œuvre de nostalgie. Une piste incroyable de part son utilisation d’une guitare classique et d’un piano au milieu des cordes. Les premiers sons de la guitare sont à proprement parler éblouissants et pleins de tristesse. À l’arrivée du piano, la mélodie semble dériver, en se tournant vers l’espoir ainsi que vers une quête de rédemption bientôt reprise par les violons. Mais c’est sans compter sur la guitare qui fait retour à la fin, annulant presque cet effet. Un morceau qui fait forcément penser au deuxième mouvement du Concerto de Aranjuez de Joaquín Rodrigo que tout le monde connaît même si vous ne savez pas qu’il est de lui. Mouvement qu’il a d’ailleurs composé peu après la mort de son fils (mort-né). On y trouve là aussi quelque chose qui autorise à faire avec l’insupportable, grâce à une guitare qui se fait excitatrice par moment.
Ce style de Mizoguchi se poursuit dans "Fragance Rain", un morceau bref, représentatif de cette tristesse qui plane sans cesse dans le film. Ici encore, piano, guitare et violons font merveilles - particulièrement les passages dans lesquels guitare et piano se répondent. Avec "Latest Flame", ce sont piano et violons qui montent ensemble vers les cimes du divin. Mais ce moment éphémère ne servira qu’à amplifier la noirceur qui va lui succéder. L’escalade lyrique est reprise ensuite dans une forme encore plus poignante pour finir sur des violons à nous glacer le sang.
"Curse" (malédiction en anglais) commence d’une façon intrigante et froide. Le thème principal dans ce morceau est très sombre avant d’atteindre une envolée qui est, ici, non pas pleine de couleur, mais belle et bien pleine de noirceur. Et que dire sur "Pride" ? Une mélodie au piano lente, triste et d’une volupté sans aucune commune mesure. Mizoguchi semble reprendre les meilleurs moments de ses deux pistes précédentes en laissant cette fois la part principale au piano.
"Long Destiny" semble faire figure d'exception, avec son commencement à la harpe, pourtant le compositeur utilisera par la suite les mêmes recettes que précédemment. Rien de péjoratif à cela bien entendu. "The Force" est une mélodie pleine de la puissance de ses percutions et dont les chœurs, étranges et mystiques, semblent clamer une longue plainte déchirante en constat de la folie des hommes.
On a du mal à ne pas croire que l’on vient d’approcher un état quasi-divin avec "Angel". Les mots font ici défaut pour retranscrire cette expérience avec si peu de pareil. Le piano ce fait divin, somptueusement triste, proche d’une perfection inatteignable autrement que par le domaine de l’art. Ce morceau à lui seul représente la terrible lucidité du mélancolique, bien trop conscient de la fuite du temps, de la velléité des choses. Il m’a alors été impossible de ne pas penser au fameux Spiegel im Spiegel de Arno Pärt - encore lui oui - que je conseille vivement à tous ceux qui perdraient la tête en écoutant "Angel". Ou encore, toujours par le même compositeur, sa Für Alina qui est monstrueuse de simplicité sur le plan technique (on est toujours dans le courant minimaliste il faut dire) et pourtant porteuse de tellement d’émotion.
Le temps pour conclure arrive par l’intermédiaire de "Grace". Mizoguchi, qui a voulu à ce moment exprimer toute la cruauté du conte du petit chaperon rouge façon Mamoru Oshii, fit appel à Gabriela Robin (et donc à son épouse bien connue Yoko Kanno) pour le chant. Cette cruauté passe par une voix claire, cristalline, sans aucun accompagnement au début, et dont les paroles n’ont semble-t-il pas de sens car provenant d’une langue imaginaire. Lorsque celle-ci s’arrête, violons et percutions se déchaînent en une symphonie terriblement émouvante. Le tout complété par des chœurs en retrait ainsi qu’une guitare électrique faisant quelques brèves apparitions. Le final nous laisse plein d’effroi. Tout autant que la très douloureuse symphonie n°3 de Henryk Gorecki, celle dite Symphonie des Chants Plaintifs (le second mouvement en particulier).
Souvenez-vous de la fin de Jin-Roh et de sa dernière phrase "Et le loup dévora le petit chaperon rouge", suivit de "Grace". L’effet est saisissant.
À l’heure de la quête d’un bonheur insaisissable à tout prix. Aux heures d’une société qui, années après années, répète sans cesse les mêmes slogans positivistes affligeants. En ces temps, il est bon de voir que certains sont encore capables de lier génie et mélancolie avec une telle audace.
LES PAROLES PERDUES DE JIN-ROH
(Écrit par Daniel DeLorme avec des sources d'un peu partout sur le Net, traduites de l'anglais au français)
Parmi les nombreuses qualités de Jin-Roh, la musique en est une qui reçoit peut-être moins d'attention qu'elle ne le mérite. Les "enlevantes" mélodies composées par Hajime Mizoguchi sont très subtiles, donnant lentement de l'atmosphère et du momentum à chaque scène du film, seuls les spectateurs les plus musicalement conscients se rendant compte de leur effet. En partie à cause de cette subtilité, toutes les pièces de Mizoguchi sur la trame sonore sont éclipsées par un autre morceau, le thème de la fin composé par Yoko Kanno. Je dis "en partie" parce que les autres morceaux ne sont pas uniquement victimes de leur propre subtilité, ils sont aussi victimes de la magnificence du thème de la fin. Grace Omega éclipserait n'importe quelle autre musique, peu importe l'album sur lequel il serait. C'est un morceau de musique magnifique, accompagné d'une voix éthérée qui s'enfonce au plus profond de votre être.
Cette voix semble avoir intrigué pas mal de monde, parce que j'ai reçu plusieurs questions au sujet des paroles de Grace Omega. Malheureusement je n'ai aucune idée de ce qu'elles veulent dire. En fait, elles n'existent peut-être même pas. Les paroles de Grace Omega ont été chantées par Gabriela Robin (supposément un alter ego de Yoko Kanno). Sur rec.arts.anime.music il est suggéré que Gabriela Robin utilise souvent des paroles qui ne veulent rien dire.
EN QUELLE LANGUE GABRIELA ROBIN CHANTE-ELLE ?
Comme quelqu'un sur rec.arts.anime l'a déjà écrit, c'est du LizFraserien (i.e. Elizabeth Fraser, des Cocteau Twins, est bien connue pour ses expériences phonétiques de "défiguration de paroles"). Dans le cas de Robins, souvent, c'est du baragouinage qui sonne un peu comme du Français. On n'a qu'à regarder quelques unes des chansons de Kanno pour réaliser que ceci n'est pas faux. Les paroles de Cat's Delicacy en sont un parfait exemple. Une entrevue de EX.org avec Yoko Kanno nous éclaire un peu plus sur le sujet :
EX: Quelles langues avez-vous utilisé pour Medicine Eater, Cat's Delicacy et Arcadia ? KY: Hmm... quelle langue... Il y a seulement l'image de quelqu'un qui avale un remède. (rires) Pour Cat's Delicacy, l'image d'une fille aux cheveux dorés. Pour ce qui est de Arcadia ... EX: Est-ce que c'est du Latin? KY: Il y a l'image du Latin, mais l'atmosphère d'Escaflowne est celle d'un autre monde. Ce n'est pas vraiment du Latin du tout. EX: Quelles langues avez-vous utilisé pour After in the dark, Torch song, SANTI-U,Pulse, A Sai En et Wanna Be an Angel ? Ce ne sont pas vraiment des langues qu'on trouve sur Terre, pas vrai? KY: Non, ce ne sont pas des vraies langues. (rires)
Dans une tentative pour me rendre au fond de ce mystère, je me suis dis que les fans Japonais auraient peut-être une meilleure idée de tout ça que moi, étant plus proches de la source. J'ai donc demandé à Eijiro Sumii s'il connaissait les paroles. Sa réponse:
En fait, ceci est un mystère qui intrigue également les fans Japonais. L'information officielle est, bien sûr, que Gabriela Robin (la chanteuse) a inventé les paroles, comme la Stab Liste de Jin-Roh ManiaXX le dit (en anglais pour cette partie seulement). Hajime Mizoguchi (le compositeur) a répondu à la question de quelqu'un (sur sa page web officielle en Japonais) que les paroles sont "le secret de la compagnie" et qu'il aimerait laisser l'audience imaginer. Google ne donne pas d'autre indice non plus.
Alors, à moins que quelqu'un les ait écrites, il est peu probable que les paroles existent sur le Net. Si tu as plus d'information, s'il-te-plait fais le moi savoir ! Quant à moi, elles sonnent vaguement Allemandes - est-ce correct ?
Enfin, pour moi elles sonnaient plutôt latin, mais je suppose qu'on ne le saura jamais. Et en réalité, peut-être que c'est bien comme ça ...
UPDATE - January 18th 2003
Suite a cet article, j'ai recu un e-mail d'un dénommé Noeru. Apparemment il/elle a une très fine oreille parce que l'e-mail contenait un translittération des paroles de Grace Omega. J'avais déjà essayé de le faire mais je n'ai jamais été capable d'identifier de sons distincts; les paroles étaient trop embrouillées. Cependant, en écoutant la chanson tout en lisant cette translittération, j'ai pu percevoir les "mots" et peut-être améliorer un peu leur exactitude. Voici la translittération, mais gardez à l'esprit que ceci ne représente aucun langage; ça ne représente que des sons.
Se he melpt he le heus Tre he melpt o pridi Lingu ni he fe he me Tre he melpt godi
Ste he melpt he le heus Tre he melpt o pridi Lingu ni he fe he me Tre heus o prishid godi
Eta li hapru Esta mi langu Oh fabi atshiius Gofria kruhemen entu
Se he melpt he le heus Tre he melpt o pridi Lingu ni he fe he me Tre he melpt godi
Quoique c'est bien d'avoir ceci, ça ne ressemble a aucun langage que je connaisse. Il y a quelques parties qui me rappellent bien le latin, mais ça pourrait aussi bien être de l'espagnol. Si cette phonétique ressemble un tant soit peu a un langage que vous connaissez, DE GRÂCE contactez moi. Mais entre-temps, on dirait bien que ceci va rester un mystère.